
Depuis toujours, la Lune intrigue et inspire les amoureux de nature. Parmi les idées qui circulent, celle de jardiner en suivant les phases lunaires reste bien ancrée. Mythe tenace ou véritable influence ? On démêle le vrai du faux ensemble.
De l’observation lunaire aux calendriers solaires
Depuis l’Antiquité, l’humanité a cherché à mesurer le temps en élaborant des calendriers. Les premières civilisations sédentaires, installées le long des fleuves et des côtes, vivaient au rythme des marées et utilisaient des calendriers lunaires. Aujourd’hui encore, plusieurs cultures conservent des calendriers luni-solaires, comme les calendriers hébraïques, chinois ou tibétain. Seul le calendrier hégirien, utilisé dans l’islam, reste un calendrier purement lunaire à grande échelle.
Avec le temps, les sociétés ont intégré le cycle des saisons à leurs calendriers, donnant naissance aux calendriers luni-solaires. Progressivement, des calendriers purement solaires ont vu le jour, fondés sur le cycle annuel de la Terre autour du Soleil. Les Égyptiens furent parmi les premiers à utiliser un calendrier solaire structuré en 365 jours, avec 12 mois de 30 jours et 5 jours supplémentaires, basé à l’origine sur l’apparition de l’étoile Sirius qui annonçait la crue du Nil.

Dans le monde occidental, le calendrier lunaire romain fut abandonné au profit d’un calendrier solaire. En 45 av. J.-C., Jules César fit instaurer le calendrier julien, qui sera lui-même révisé en 1582 par le pape Grégoire XIII pour corriger les décalages saisonniers, donnant naissance au calendrier grégorien encore en usage aujourd’hui.
Le débat sur le calendrier lunaire en agriculture
Ainsi, ceux qui indiquent que l’usage d’un calendrier lunaire est ancien pour l’agriculture oublient de mentionner que celui-ci a été globalement abandonné à raison. D’ailleurs, de nombreux auteurs mentionnent que tenter de jardiner sur base des lunes n’est pas toujours la meilleure idée. On peut ainsi citer La Quintinie, jardinier de Louis XIV, qui consacre un chapitre de son ouvrage aux effets de la Lune sur les plantes horticoles. Ses conclusions sont sans appel.
Après plus de 30 ans de pratique, il considère que tout ce qu’il a « appris par ses observations longues et fréquentes, exactes et sincères, a été que ces décours ne sont simplement que dires de jardiniers malhabiles ; ils ont cru par là, non seulement mettre à couvert leur ignorance à l’égard des points principaux du jardinage, mais en même temps, ils ont espéré s’acquérir par ce jargon quelque croyance auprès des honnêtes gens, qui n’entendent rien à l’agriculture ».

Mais alors pourquoi cet engouement pour le jardinage avec la Lune ? Celui-ci est revenu à la mode dans le courant du XXe siècle avec d’autres pratiques agronomiques plus ou moins vérifiées et fiables et ces principes se sont ainsi retrouvés intégrés à différents almanachs du jardinier.
Mais qu’en dit la science ?
Très naturellement, les recommandations de l’utilisation de la lune ont été traduites dans des calendriers de jardinage dont un exemple figure déjà dans La Maison Rustique rédigé en 1583. Cependant, ces pratiques commencent à être mises en doute, à des degrés divers, par les agronomes du XVIIe et XVIIIe siècles.
Olivier de Serre s’interroge en remarquant que les traditions sont quelquefois contradictoires selon les régions : « Les jardiniers d’Avignon et ceux de Nîmes quoique sous le même climat, ne sont pas d’accord sur tout : certains faisant les uns en une lune, ce que de même les autres font en une autre ».
L’auteur indique aussi que certains sont sceptiques et ne tiennent pas compte des traditions et dans ses recommandations, il considère plus sage de se référer aux pratiques locales.
Coupons court au suspense, la science est claire à ce sujet : il n’y a pas d’influence directe de la lune sur les cultures, en dehors bien évidemment des zones côtières et des abords de grands fleuves, car la Lune est responsable, en grande partie, des phénomènes de marées. De par sa masse, ce satellite exerce un effet gravitationnel sur la surface de la terre, c'est-à-dire qu’elle va attirer à elle la Terre et tout ce qui se trouve à sa surface. Les masses d’eau étant plus mobiles, elles vont se déplacer au passage de la lune car, si les masses de terre bougent peu, de l’ordre de 30 centimètres, les masses d’eau vont bouger de plusieurs mètres voire dizaines de mètres.

De nombreux essais agronomiques ont été réalisés avec des résultats discutables et parfois sur des échantillons trop insuffisants pour valider la recherche. Dans certains cas, comme le mentionnait déjà à l’époque Olivier de Serres, les résultats se sont avérés contradictoires.
En 2006 et 2007, des essais ont été conduits avec des conditions contrôlées par Deleuran et Andersen sur le blé de printemps, le lin, le radis et la roquette. En 2006, ces auteurs mentionnent des tendances favorables sur 3 des plantes testées, sans effet significatif de la part de l’astre lunaire. En 2007, ils notent des variations liées à la profondeur des semis et concluent qu’avant de se fier aux almanachs de jardinage, il faut faire attention aux caractéristiques agronomiques (sol…) et à l’environnement (climat, météo…).
La lumière de la lune et les marées
On observe un effet très important des marées sur les océans, mais bien moindre sur les mers. (Citons par exemple la mer Méditerranée, dont les marées sont assez faibles, environ 30 cm) et aucun sur les lacs ou les étangs. Ceci s’explique par le fait que l’influence de la Lune ne soulève pas l’eau, mais la déplace. Pour voir un grand déplacement, il faudra donc une grande surface d’eau. Dans un potager, la surface de l’eau contenue dans un verre d’eau, ou dans une salade, étant encore plus petite que celle d’un lac, elle subira encore moins l’influence de la Lune.

Quant à la luminosité de la lune : même pleine, elle ne dépasse pas 0.5 lux. Or la photosynthèse ne se produit qu'à partir d’une valeur dépassant les 5 lux et celle-ci est à son maximum aux alentours d’une valeur de 10 000 lux.
Quid des “lunes rousses, bleues, ultra-violettes et chocolat à petit-pois vert” ? Ce ne sont que des termes qui n’ont pas de réels liens avec une quelconque couleur de la lune. Elles sont juste une nomenclature d’astrologues, ayant ressenti le besoin de nommer chaque pleine Lune de l’année. Oui, planter vos petit-pois en janvier, juin ou septembre vous donnera des résultats différents, mais toujours aucun lien avec la Lune.
La position de la lune et le zodiaque

Certains imaginent également une influence de la position de la Lune vis à vis du zodiaque. Mais les constellations du zodiaque sont composées d’étoiles très lointaines, sans lien les unes avec les autres à part dans notre imagination, certaines étant situées beaucoup plus loin que d’autres. Ces constellations ont d’ailleurs des tailles différentes dans le ciel, et l’écliptique, cette zone où se baladent les planètes, la Lune et le Soleil, est traversée non par 12 constellations, mais par 13.
Les maisons zodiacales ne sont également plus alignées (depuis deux millénaires) avec les constellations portant le même nom. La position de la Lune, vis à vis des étoiles lointaines, a beaucoup moins d’influence sur Terre que sa phase, selon qu’elle soit pleine ou non par exemple, qui influence les marées.
Conclusion
Je conclurai simplement en citant Duhamel du Monceau qui disait qu’ il « faut abandonner ces pratiques comme tout à fait ridicules et opposées à la bonne physique qui est toujours soumise à l’expérience ». Le bon sens, la connaissance du terrain, de l’écologie de la plante et bien évidemment adapter sa variété à sa station restent des valeurs plus sûres.
Les almanachs lunaires sont avant tout une volonté marketing de surfer sur la crédulité des néophytes plutôt que de tenter d’établir un véritable calendrier qui dépendra bien évidemment d’une multitude de facteurs stationnels. Ce sont eux qui influencent grandement la culture et qui bien souvent ne peuvent être appréhendés que par le biais d’un gros bagage théorique, mais aussi pratique, le tout saupoudré de bon sens.
Rédaction : Yves Desmons, botaniste, écopédagogue et formateur Jardinage Naturaliste aux CNB, en collaboration avec Isabelle Ansseau, astronome et écopédagogue à l'Observatoire Centre Ardenne.
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Bibliographie
- Ansseau, I. (2021). Introduction à l’astronomie. Formation Guide-Nature®. Éditions des Cercles des Naturalistes de Belgique, 38 p.
- Beeson, C. F. C. (1946). The moon and plant growth. Nature, 158(4017), 572-573.
- Deleuran, L. C., & Andersen, U. (2008). Experiments on cultivation following the Maria Thuns Sowing Calendar. Gron Viden, Markbrug, 329, 8 p. (Résumé).
- Duhamel du Monceau, H. L. (1764). Doit-on avoir égard aux différentes lunaisons pour abattre les arbres ; et observer plutôt le temps du décours que celui du croissant ? Remarque-t-on quelques différences entre la qualité des bois abattus en différentes phases de la lune ? Dans De l’exploitation des bois, Livre III, Chapitre V, Article 8, pp. 380-393. Gallica BNF.
- Hall, D. O., Rao, K. K., & Institute of Biology. (1999). Photosynthesis. Cambridge University Press, ISBN 978-0-521-64497-6.
- Jardiner avec la lune : Mythe ou réalité ? (2012). Dossier réalisé par le conseil scientifique de la Société nationale d’horticulture de France, 16 p.
- Jardinez avec la Lune. (2010). Rustica éditions, 119 p.
- Kyba, C. C. M., Mohar, A., & Posch, T. (2017). How bright is moonlight? Astronomy & Geophysics, 58(1), 1.31-1.32.
- Lefort, J. (1998). La saga des calendriers. Bibliothèque pour la science.
- Liébault, J., & Estienne, C. (1583). L'Agriculture et maison rustique. Édition augmentée, comprenant un brief recueil des chasses et de la fauconnerie.
- L’agenda du jardin : Jardinez au fil des saisons avec la lune, la météo… (2010). Mon jardin ma maison, 199 p.
- Serres, O. de (2001). Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs. Thésaurus, Actes Sud. Document conforme à l’édition de 1804-1805 (édition originale 1610).
- Zürcher, E., Cantiani, M. G., Sorbetti-Guerri, F., & Michel, D. (1998). Tree stem diameters fluctuate with tide. Nature, 392, 665-666. https://doi.org/10.1038/33570.
- Marées.info. (s.d.). Consulté sur : https://maree.info/