Pour sa seconde note de sa série « Ouvrons l’œil et le bon ! », Bernard Clesse s’attaque à l’ortie, plante souvent rangée dans les indésirables malgré ses nombreuses vertus !
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par Bernard CLESSE, assistant de direction et Écopédagogue au Centre Marie-Victorin des CNB.
Méprisée par certains, choyée par d’autres, qui n’en a pas dans son jardin ? Je veux parler de l’ortie bien sûr, la grande ortie ou ortie dioïque (Urtica dioica)… (1) Ce printemps, nous l’avons consommée en potage déjà de nombreuses fois, en espérant bénéficier de sa grande richesse en minéraux, protéines et fibres… Inutile de rappeler qu’en agroécologie son purin, tantôt utilisé comme engrais naturel, tantôt pour limiter les pullulations de pucerons donne d’excellents résultats.
D’innombrables individus de cette Urticacée sont visibles dans notre jardin. Mais là où elle se maintient le mieux ou, devrais-dire plutôt, là où on lui laisse plus la paix, sont les pieds de haies et de mur, bords des tas de pierres ou de la serre… Ses longs rhizomes (2) pourvus de nombreuses racines adventives (3) et qui parfois devraient plutôt s’appeler stolons vu leur affleurement à la surface du sol et ses graines sont d’une telle efficacité qu’elle a tendance à se répandre vraiment partout.
On ne peut pas dire que la famille des Urticacées a de quoi attirer le regard : ici pas de fleurs colorées ni de grande taille, juste de petites fleurs verdâtres à enveloppe florale unique (périgone) verdâtre. Deux genres sont observables en Belgique, le genre Parietaria (très rarement observé chez nous et souvent introduit) et le genre Urtica. Si l’ortie dioïque (Urtica dioica) est omniprésente sur le territoire, par contre, sa petite cousine, l’ortie brûlante (Urtica urens) est beaucoup moins fréquente et surtout limitée au nord du sillon Sambre-et-Meuse. Nitrophiles toutes les deux, elles recherchent donc la compagnie de l’homme, de ses potagers et de ses élevages bien que l’ortie dioïque se retrouve souvent bien loin des habitations et zones agricoles : dans les friches et terrains vagues, le long des cours d’eau, des canaux, des voies de chemins de fer, des routes, parfois bien loin au coeur des massifs forestiers…
Rappelons que dioïque, qui veut dire littéralement « deux maisons », implique que la plante sépare ses organes reproducteurs sur des individus différents. Il y a donc des pieds que l’on qualifiera de mâles, c’est à dire porteurs de fleurs à étamines uniquement et que d’autres pieds, femelles, portent des fleurs à pistil uniquement. Mais ce n’est pas l’époque pour vous les montrer…
À cette époque, les tiges à 4 angles ou tétragones de notre ortie ne sont guère bien hautes. Elle porte des feuilles nettement pétiolées, munies sur leur pourtour de fortes dents dont le sommet a tendance à se courber vers le haut du limbe comme les dents d’une scie circulaire. Leur base est nettement échancrée en coeur, on parle de feuilles cordées, et leur disposition tout au long de la tige est typiquemment opposée-décussée : les feuilles sont donc disposées par paires à un même niveau d’insertion et à chaque niveau ou noeud suivant la paire est décalée de 90°, ce qui, vu du dessus fait penser à des croisillons de feuilles. Quoi de plus logique pour cette plante sciaphile (d’ombre) qui ainsi fait profiter au mieux ses feuilles de la faible clarté qui diffuse à travers le feuillage des arbres…
Dans notre jardin, deux autres espèces à l’état végétatif pourraient éventuellement être confondues avec l’ortie : le lamier blanc (Lamium album) (4) et la campanule gantelée (Campanula trachelium) (5). La forme du limbe est il est vrai assez semblable, avec des dents bien présentes pour chacune et une échancrure en coeur à la base.
Les feuilles de campanule gantelée (6) possèdent des dents doublement dentées et une position alterne sur la tige ce qui s’opposent aux deux autres espèces ; les feuilles de lamier blanc possèdent comme l’ortie des dents simples et une position opposée sur la tige mais elles sont beaucoup plus nervurées, avec un réseau de nervures et de nervilles très saillant ce qui lui donne un aspect « gaufré » mais outre ce critère, l’ortie se différencie du lamier blanc par l’omniprésence de poils urticants (7) et par la présence d’une paire de stipules (8) à la base des feuilles ; deux caractères absents chez le lamier blanc. (9)
Et justement, parlons-en de ces poils urticants…Présents sur la tige, le pétiole et le limbe des feuilles (en plus grande quantité sur la face supérieure que sur la face inférieure) mais aussi par la suite au sein des inflorescences, leurs particularités tiennent à :
- Une base enflée (10) en forme d’ampoule et qui contient de l’acide formique (responsable de la sensation de brûlure en cas de piqûre) mais aussi de l’histamine, de l’acétylcholine et de la sérotonine qui irritent la peau (démangeaisons)
- Une transparence comme du cristal (11) et des parois épaisses
- Une forme subulée : graduellement rétrécie en pointe très aiguë et, dans ce cas-ci, terminée par une petite tête arrondie et constituée de silice (12)
- Une très grande fragilité : au moindre contact avec son sommet, celui-ci se brise en biseau (13) pour rentrer dans la peau telle une seringue et libère tout son contenu
Non seulement, nous la tolérons dans maints coins du jardin car nous la consommons particulièrement au printemps, mais tout naturaliste sait aussi qu’elle héberge un grand nombre d’hôtes (en étant parfois l’unique subsistance de ceux-ci d’où son importance vitale !) et notamment les chenilles de plusieurs espèces de papillons diurnes tels petite tortue, vulcain, paon du jour, carte géographique, Robert-le-diable… mais aussi celles de nombreux papillons nocturnes et d’autres insectes évidemment !
Par contre, ce que les naturalistes savent moins, c’est son intérêt extraordinaire pour de très nombreux champignons ! Comme pour certaines espèces de papillons, s’il nous prenait l’idée d’exterminer toutes les orties dioïques d’une région, ce serait causer la disparition de toute une série d’espèces de champignons qui en dépendent obligatoirement. Plusieurs dizaines d’ascomycètes ont déjà été recensés sur cette plante, essentiellement sur les tiges mortes et notamment Calloria urticae (14), espèce fréquente de belle teinte rose orangé ! Le plus emblématique est certainement Leptosphaeria acuta (15), avec sa forme de cuperdon ou de praline « Manon » et sa couleur noire et brillante ! Les tiges mortes d’ortie qui se trouvent au pied du haut mur (partie toujours ombragée) dans le jardin en sont couvertes. À la loupe, il est facile de le repérer sur les tiges mortes, de préférence celles qui ont passé la mauvaise saison dans un coin ombragé ou humide. Si vous disposez d’une loupe binoculaire, vous distinguerez au sommet du petit mamelon pointu un tout petit trou : il s’agit de l’ostiole (16) du périthèce qui constitue cet organe visible du champignon et à la forme si originale. À l’intérieur du périthèce, se trouvent les asques ou cellules qui ont pour fonction de fabriquer les spores. Celles-ci, au nombre de 8 par asque (17) devront non seulement quitter l’asque mais quitter aussi le périthèce pour se disséminer dans l’environnement en espérant rencontrer d’autres tiges mortes d’ortie ce qui, il faut l’avouer, ne semble guère être un problème vu les populations importantes que la plante constitue souvent. Ces spores (18) sont étroitement fusiformes et un peu étranglées à chacune des nombreuses cloisons, leur taille avoisine les 40-50 x 6 microns).
Alors, convaincu(e) de l’utilité de l’ortie ?
À bientôt pour une prochaine (re-)découverte…
Bernard