Une histoire de mousse

Après sa spirale aux plantes aromatiques et son article sur les araignées du jardin, Sébastien revient avec un peu de bryologie d’entomologie.

par Sébastien Renson, écopédagogue au Centre Marie-Victorin (CNB)

Au risque de décevoir certains lecteurs, l’objet de cette petite note d’observation ne fait ni référence aux bryophytes de nos régions (où mes connaissances sont à leur niveau, c’est à dire au raz des pâquerettes !) ni aux traditions brassicoles de la région du Sud Hainaut (Chimay) et du Sud namurois (Super-des-Fagnes), dont les réputations ne sont plus à refaire et dont mes connaissances sont légèrement plus étoffées… Non, ce qui suit concerne bien des petites bêtes que j’affectionne un peu plus… à savoir les insectes.

De la mousse sous… nos pieds !

Alors que je donnais quelques coups de bêche pour préparer les dernières plantations d’arbres de cette année, voilà qu’une motte de terre fraîchement excavée attire mon attention. J’aperçois dans cette motte un amas de matière spumeuse, comme des bulles de savon, autour de racines de plantes herbacées, à environ 15 cm de profondeur. (1) Ni une ni deux, je charge un de mes garçons d’aller chercher mon appareil photo, toujours prêt à déclencher. Je sens que quelque chose d’intéressant se cache là dedans. Et j’avais vu juste ! En farfouillant dans cette matière, j’entrevois deux petits habitants, rouge-orange, bien cachés dans cet amas de bulles : des larves de cercopes ! Quelle chance ! (2 et 3)

  • mousse spumeuse
  • une larve de cercope
  • dans la mousse, une larve de cercope

En rouge et noir…

Les mélomanes nostalgiques des années ’80 vont peut être reconnaître le refrain d’un célèbre tube, mais nous allons laisser là les adeptes du karaoké de fin de soirée bien arrosée…

Vous me direz, c’est quoi un cercope ? Vous en avez sans doutes déjà vu, ils arborent des couleurs caractéristiques : du rouge et du noir. Les trois espèces qui représentent cette famille (Cercopidae) en Belgique sont toutes d’aspect semblable. L’espèce la plus commune est le cercope sanguin (Cercopis vulnerata) (4). On les trouve sur les tiges de nombreuses plantes herbacées (5 et 6). Ils ont d’excellentes facultés au saut, comme de nombreuses autres espèces des familles proches (Cicadelles et compagnies), mais çà c’est une autre histoire.

Cercopes, Cicadelles, Cigales… Le gang des CCC

Les Cercopidae font partie de l’ordre des Hémiptères, auparavant appelés les Rhynchotes. Ah bon ? Et oui, dans Rhynchotes, on entend « rhyncos » qui désigne le bec, comme un certain ornithorynque (« bec d’oiseau »). Tous les Hémiptères, qui reprennent les pucerons, punaises, cochenilles, cigales, cicadelles… ont des pièces buccales de type piqueur-suceur, c’est à dire qu’elles sont transformées en organe vulnérant, comme une paille ou un bec (7), afin de ponctionner le plus souvent la sève des végétaux (pour les espèces phytophages) ou l’hémolymphe (ou le sang) de proies plus ou moins grandes pour les espèces prédatrices ou hématophages.

Auparavant, l’Ordre des Hémiptères était diviser en deux sous-ordres : les Homoptères (Pucerons, cochenilles, cercopes, cicadelles, cigales) et les Hétéroptères (punaises « vraies »). Quelques petits changements sont apparus dans la classification, car actuellement les Homoptères ont été divisés en trois nouveaux sous-ordres : les Sternorrhynques (Sternorrhyncha = « bec au niveau du sternum ») qui reprennent les pucerons, cochenilles, psylles et aleurodes ; les Fulgoromorphes , groupe qui comprend les fulgores et fulgorelles (8) (qui ressemblent très fort aux cicadelles) et enfin les Cicadomorphes (Cicadomorpha = « qui a l’aspect d’une cigale ») qui regroupent pour les plus connus les cigales (9) , cicadelles (10) et enfin les cercopes (11). Le fameux gang des CCC !

Image 7

Et finalement, cette mousse ? Cracha-de-coucou ? Écume printanière ?

Image 12
Image 13

Lors de cette petite séance d’observation, deux petites larves ont été trouvées dans cet amas mousseux. Si on regarde bien, les larves sont d’aspect semblable à celui des adultes, la seule différence, ce sont les ailes qui sont encore à l’état d’ébauches (12), comme des petites écailles. Ce sont des insectes à métamorphose incomplète, tout comme les criquets, sauterelles, blattes, perce-oreilles…

Les larves sont donc équipées d’un rostre piqueur-suceur, comme les adultes, cette sorte de « bec » qui utilisé pour prélever de la sève. Dans ce cas-ci, cela se fait au niveau des racines. Absorbant une grande quantité de sève minérale, très peu nutritive car composée que d’eau et de sels minéraux, les larves excrètent l’excédent par l’anus en y insufflant de micro-bulles d’air par un système de canaux et de plaques ventrales, agissant comme une pompe. Ce stratagème comporte de nombreux avantages : isolation thermique, humidité conservée et surtout protection contre les prédateurs.

Alors, ce seraient des larves de Cercopidae qui seraient responsables de ce qu’on appelle « crachat de coucou » ou encore écume printanière, que l’on voir sur les tiges des plantes herbacées (13) ou sur les jeunes rameaux de saules ou d’autres arbres ? Pas exactement…

Une famille très proche des Cercopidae, les Aphrophoridae (littéralement « porteurs d’écume ») œuvre en plein air, à la vue de tous… Ces derniers, à l’état adulte, n’arborent pas ces couleurs contrastées simultanément (rouge et noir), mais souvent des motifs plus ou moins nets de brun, beige, jaune ou blanc. Deux genres très communs sont donc les responsables de ce qu’on observe en plein air : Philaenus spumarius (sur les plantes herbacées, les adultes ont des motifs très variables (14, 15, 16, 17 et 18)) et le genre Aphrophora (sur les arbres tels que les Saules et les Aulnes pour Aphrophora alni (19 et 20)). Ils sont parfois tellement nombreux qu’on peut avoir l’impression qu’il pleut sous certains arbres, vu les quantités de sève excrétées ! Généralement les larves de Philaenus spumarius vivent seules dans leur amas de bulles, alors que celles d’Aphrophora sont souvent en collocation à plusieurs. Vous en savez maintenant un peu plus sur ces écumes mystérieuses que vous ne manquerez de rencontrer lors de vos petites escapades dans votre jardin !

Cercopes, Cicadelles, Aphropores, comment distinguer les adultes, en bref !

  • Cercopidae : Tibias III non carénés avec 2 ou 3 ergots (épines), avec couronne d’épines au bout (21) + coloration rouge + noir + larves dans amas spumeux souterrain

  • Aphrophoridae : Tibias III non carénés avec 2 ou 3 ergots (épines), avec couronne d’épines au bout (22) + coloration jamais rouge/noir + larves dans amas spumeux aérien

  • Cicadellidae (+Membracidae) : Tibias III souvent carénés ne présentant jamais d’ergots, mais souvent des rangées d’aiguillons (2 ou 3) (23) + larves aériennes libres et mobiles

À vos loupes !