Depuis quelques années déjà, les Cercles des Naturalistes de Belgique cofinancent l’implantation de forêts urbaines selon la méthode Miyawaki par l’association Urban Forests.
Nicolas de Brabandère, biologiste, Guide-Nature et fondateur de Urban Forests
Une forêt Miyawaki est dense, pleine de vie, remplie d’espèces différentes, de formes et de couleurs, de strates multiples. Il n’est pas possible de tout absorber d’un seul tenant. La végétation se mêle à des chants, des stridulations, des bruissements. Les feuilles jouent avec le vent. Elles offrent des couleurs automnales. Les bourgeons dévoilent délicatement le retour du printemps. Les fourmis patrouillent. D’étonnants insectes se baladent. Des oiseaux sautillent discrètement. Des traces se dessinent au sol. Des graines tombent à terre. Et là-haut, au-dessus de la canopée, il est déjà trop tard pour y percher le regard.
Une forêt Miyawaki crée l’émotion. Des rencontres et des sourires accompagnent la plantation. Une force de vie surgit devant soi. Un morceau de la forêt primordiale réapparaît. Quand il pleut, le feuillage saisit l’urgence de toute cette eau tombée du ciel. Et quand il fait sec, les feuilles craquent en se tournant vers la terre pour réclamer un peu d’humidité coincée dans les entrailles racinaires. Une forêt Miyawaki est un chant de vie, une danse sauvage, un poème qui nous raconte que la terre rêve de devenir forêt.
Une forêt Miyawaki est un espace de taille réduite où la forêt renaît. La forêt à toute petite échelle certes, mais avec une force que nous avions oubliée. Le sol est préparé pour créer les conditions idéales pour faciliter l’enfouissement des racines, l’infiltration de l’eau de pluie, la multiplication des microorganismes. Dans cette terre pleine de potentiel, des espèces forestières propres à un lieu précis sont plantées ensemble, proches les unes des autres, en un seul cortège, comme la nature le fait d’elle-même quand elle renaît sous une trouée ou après un feu.
Une forêt Miyawaki est constituée uniquement par des espèces indigènes qui poussent en association : des arbustes et des arbres, parfois des lianes. La compétition favorise leur croissance vers la lumière, mais plus encore, c’est la coopération entre toutes ces espèces qui rend la forêt si belle, si authentique, en bonne santé et résistante aux aléas météorologiques. En effet, la densité permet aux arbres de s’interconnecter rapidement, d’entrer en communication, d’échanger de l’eau, des nutriments, des informations. Tous ensemble, les arbres créent un microclimat pour résister à la chaleur, au froid, au vent. Ils protègent le sol. Les arbres coopèrent ensemble pour créer les conditions favorables à leur épanouissement.
Une forêt Miyawaki est formée par une diversité d’espèces. Elles sont choisies objectivement en respectant le potentiel naturel de végétation (la dynamique des successions naturelles qui mènent à la forêt mature). Puis de nombreuses autres espèces viennent spontanément. Des plantes au cycle de vie court, des fougères, des fleurs sauvages, des champignons, des lichens, des mousses, des arbres et arbustes dont les graines ont germé, apportées par les oiseaux, le vent ou le ruissellement de l’eau.
Les études de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas ont observé dans 11 forêts Miyawaki de 200m2 seulement, sur 3 ans, la présence de 636 espèces animales et 298 espèces végétales, bien au-delà des 20 à 30 espèces plantées initialement. C’est donc un habitat florissant qui renaît. C’est indéniable.
La croissance de la forêt est impressionnante. De jeunes plants de 1 à 2 ans, de 40 cm en moyenne, plantés en godets, atteignent 3, 4 voire 5 mètres de hauteur en 3 ans avec une vigueur et une santé surprenantes. Il y a un effet multiplicateur qui provient du choix des essences, de leurs interactions, de la préparation du sol, du paillage initial et des soins apportés pendant 2 ans. La vitalité des arbres est surprenante. D’ailleurs, les jeunes arbres ont résisté à la sécheresse de l’été 2022 sans provoquer de surmortalité notable, sans aucun arrosage (ou très ponctuellement). Ces micro-forêts font preuve d’une grande résilience même en période difficile. Il est certain que des arbres ont souffert, mais chaque micro-forêt a traversé la sécheresse et la canicule pour repartir de plus belle dès le retour de la pluie. Cette capacité de résistance est rassurante. Elle confirme qu’un écosystème complexe et bien structuré est résistant aux aléas.
L’étude menée par l’organisation SUGi sur des forêts Miyawaki dans le monde entier montre un taux de survie moyen de 83% sur 2 ans. Cette moyenne intègre même des pays au climat très aride comme le Liban, le Pakistan, l’Espagne. Les études japonaises indiquent une survie moyenne de 90% sur 20 ans et 70% sur 40 ans en climat tempéré. Nous observons un taux de survie similaire sous nos latitudes en prenant soin des micro-forêts que nous créons.
Les forêts Miyawaki nous viennent du Japon. Le professeur Akira Miyawaki était botaniste. Il est décédé l’année passée à 93 ans. Il a d’abord étudié l’écologie des plantes adventices car il souhaitait aider les paysans à lutter contre l’invasion de leurs champs par les mauvaises herbes. Bon étudiant, Akira Miyawaki est invité en Allemagne en 1959-1960 pour rejoindre l’équipe universitaire du professeur Reinhold Tüxen qui étudie la phytosociologie, la protection et la restauration des milieux naturels. C’est ainsi qu’est née la carte européenne de la végétation naturelle potentielle encore utilisée de nos jours.
À son retour dans les années 70, le gouvernement japonais demande à Miyawaki de cartographier toute la végétation nippone. Ce travail a nécessité 10 ans et rempli 10 gros volumes. L’originalité du travail de Miyawaki a été de créer 2 cartes : la végétation existante et la végétation potentielle, celle qui devrait exister sans les perturbations humaines. La végétation potentielle a pu être reconstituée en extrapolant les observations dans les forêts anciennes encore préservées, les parcs nationaux, les cimetières japonais où la nature est sacrée (en libre évolution) et grâce aux travaux de recherches scientifiques. Miyawaki a ainsi caractérisé les forêts spontanées en fonction de leur architecture spécifique, complexe, étagée, diversifiée, avec plus d’espèces et un sol biologiquement très riche. Ces forêts totalement naturelles sont à l’image des forêts primaires décrites par Francis Hallé, le botaniste français.
La notoriété du Professeur Akira Miyawaki a traversé les frontières. Dans les années 90, il a reconstitué des forêts à l’international en Asie, en Afrique, en Amérique. Il est invité aux différents sommets de la terre, à Rio de Janeiro puis à Johannesburg. Il prend la présidence du centre japonais pour l’étude internationale de l’écologie et reçoit le prestigieux prix Blue Planet en 2006. Au Japon, le Professeur Miyawaki a planté 34 millions d’arbres sur 2773 sites différents. À l’international, Miyawaki a planté plus de 5 millions d’arbres dans 19 pays sur 164 sites.
Une forêt plantée par le professeur Akira Miyawaki a pour objectif de durer des millénaires grâce à une plantation dense d’espèces diversifiées plantées de façon aléatoire. La forêt se régule ensuite d’elle-même.
Qu’est-ce qui est si spécial avec la méthode Miyawaki ? Une croissance rapide en raison de la densité et d’une sélection rigoureuse des espèces, un formidable habitat pour la biodiversité, une protection contre les désastres (feu, tsunami, inondation, évènements climatiques extrêmes, les tempêtes de vents, le bruit, la poussière, la pollution), la fixation optimale du carbone dans le couvert végétal et peut-être plus encore dans le sol, et une réponse concrète aux objectifs du développement durable tels que définis par l’Organisation des Nations Unies.
Akira Miyawaki accordait une grande importance à la participation citoyenne lors des évènements de plantation. Son souhait était de renforcer le sentiment d’appartenance à un lieu en observant la forêt évoluer année après année. Il souhaitait sensibiliser un large public à la restauration du patrimoine naturel et faire naître une culture de la protection à l’environnement par des actes concrets, sensibles et participatifs. Pour lui, il s’agissait de créer des forêts de protection environnementale qui protègent la vie humaine. Des forêts qui soignent l’humain et la nature.
Le professeur Akira Miyawaki recommande de partir des graines en les récoltant dans des forêts encore existantes et en les faisant grandir en godets jusqu’à ce que le système racinaire soit bien développé, puis de planter de façon dense et mélangée. Chaque plante a une stratégie de croissance différente. Les plus rapides sont en compétition pour la lumière tandis que les autres se satisfont de l’ombre du sous-bois. Un équilibre se met en place rapidement pour créer une forêt structurée en étages.
Les forêts Miyawaki créent des îlots de fraîcheur, diminuent les pollutions atmosphériques et le bruit. Elles protègent les sols. Elles stockent beaucoup d’eau. Elles sont sources de bien-être, de créativité, de changement positif, de protection contre les drames environnementaux et un habitat pour la biodiversité. Une forêt de protection environnementale telle que définie par Miyawaki sert à protéger le paysage avec des espèces indigènes. Ce sont des îlots de verdure pour aider à préserver les écosystèmes et des monuments végétaux qui rappellent l’appartenance à un lieu. La participation citoyenne est essentielle.
Les Cercles des naturalistes de Belgique soutiennent la création de forêts Miyawaki depuis 2017. En partenariat avec Urban Forests, plusieurs forêts Miyawaki ont vu le jour sur un site industriel à Péruwelz, à l’Institut Technique Horticole de Gembloux à l’Institut Notre-Dame de Philippeville, dans l’Établissement des Sœurs de Notre-Dame à Namur et à l’École Notre-Dame de la Consolation à Uccle.
La première forêt Miyawaki sur un site industriel en Europe a échoué en raison de la négligence du propriétaire foncier. Les 4 autres forêts Miyawaki donnent des résultats spectaculaires. La forêt urbaine à l’ITH Gembloux est superbe. Elle est traversée chaque jour par les étudiants et les riverains du quartier. La micro-forêt à Philippeville est exubérante. La forêt Miyawaki à Namur démarre de façon fort convaincante et celle de Uccle a juste été plantée en novembre cette année. Pour cette dernière, la surface minérale de la cour de récréation a été retirée avant d’y installer la mini-forêt.
Plus de 70 forêts Miyawaki ont été créées depuis 2016 par Urban Forests (32.778m2, 97.927 arbres, 7880 volontaires entre novembre 2016 et octobre 2022). Après 5 ans d’expérience et des contextes multiples, nous pouvons dire que les résultats sont probants. La méthode Miyawaki fonctionne en Belgique aussi bien qu’au Japon et partout ailleurs. Il est nécessaire de bien maîtriser la méthodologie, de connaître les arbres, l’écologie du sol et de créer des liens forts pour que chaque projet soit un succès. La préparation du sol, le choix des espèces, la qualité des arbres, l’entretien et l’engagement sincère des parties prenantes sont déterminants pour atteindre le plein potentiel de la méthode Miyawaki.
Bibliographie :
La méthode Miyawaki, chiffres et concepts (2020) sur le site web www.urbanforest.be
Recherches scientifiques concernant les forêts urbaines créées selon la méthode Miyawaki dans le monde (2021) sur le site web www.urbanforest.be
Citizen science and determining biodiversity in Tiny Forest Zaanstad (2018). Wageningen University. https://edepot.wur.nl/446911
IVN Natuur Educatie. Tiny Forest. sur le site web ivn.nl/tinyforest
Sugi Impact Report 2021. https://www.sugiproject.com/blog/sugi-impact-report-2021
Let’s create indigenous forests continuing for millenia ! From Japon to the world. (2022). Edited by Association for promoting creation of indigenous forests by Miyawaki Method. Fujiwara-shoten Publishing Company.
Mini Forest Revolution using the Miyawaki method to rapidly rewild the world (2022). Hannah Lewis. Chelsea Green Publishing.
The Healing Power of Forests: The Philosophy Behind Restoring Earth’s Balance With Native Trees (2007). Akira Miyawaki and Elgene O Box. Rissho Kosei-kai of the UK