Ouvrons l’œil et le bon ! – Note n°6 : les cardamines

C’est déjà la sixième note de la série « Ouvrons l’œil et le bon ! » de Bernard Clesse ! Celle-ci vous dira tout sur les cardamines.

Retrouvez toute la série en cliquant ici.

par Bernard CLESSE, assistant de direction et Écopédagogue au Centre Marie-Victorin des CNB.

Pour cette nouvelle chronique du jardin, focus sur deux cardamines communes de nos régions : la cardamine des prés (Cardamine pratensis) et la cardamine hérissée (Cardamine hirsuta). En Belgique, 4 autres espèces du même genre sont observables, la plus rare d’entre toutes étant la cardamine bulbifère (Cardamine bulbifera) qui développe des bulbilles (1-2) à la base de ses feuilles caulinaires, à la manière de la ficaire dont j’ai parlé précédemment. Afin de découvrir cette belle plante protégée, je vous invite à parcourir la magnifique réserve naturelle de Furfooz (gérée par la société Ardenne & Gaume) et à longer la Lesse lors de votre circuit en boucle.

Bien représentatif de la famille des Brassicacées, le genre Cardamine fait donc partie de cette grande famille, souvent mieux connue sous le nom de « Crucifères », et qui donne notamment beaucoup de légumes (dont les différentes variétés de choux, le radis, le navet et la roquette que mon épouse cultive avec soin dans notre jardin et dans la serre, récoltant leurs semences d’une année à l’autre et les partageant).

Avant de vous parler des caractéristiques propres aux deux cardamines, rappelons en quoi ce genre est caractéristique de la famille des Brassicacées (en gras, caractéristiques essentielles !):

  1. Il s’agit de plantes herbacées vivaces ou annuelles dont les feuilles, dépourvues de stipules, sont disposées en rosette basilaire et/ou en position alterne pour les feuilles caulinaires (disposées le long de la tige) (3) ; l’hétérophyllie (4) (variation dans la forme des feuilles pour un même individu selon la position de celles-ci) est généralement bien marquée !

  2. Les fleurs sont disposées en grappe mais ici pas de bractée à la base du pédicelle floral (5)

  3. Chaque fleur possède les deux enveloppes florales (calice + corolle) (6) sauf chez quelques espèces où la corolle peut être absente ; le calice étant dialysépale (sépales libres entre eux), à 4 sépales caducs, deux des 4 sépales étant gibbeux (bossus) (7-8) à la base

  4. La corolle dialypétale (pétales libres entre eux) présente 4 pétales disposés en croix (9) (d’où l’ancien nom de « Crucifères » pour cette famille), sa symétrie est typiquement radiaire et chaque pétale présente un onglet (10) (partie nettement rétrécie) et un limbe (partie élargie)

  5. Les fleurs sont hermaphrodites (11) et sont donc constituées d’un androcée (ensemble d’étamines) correspondant à la partie mâle et d’un pistil (ensemble de carpelles) correspondant à la partie femelle

  6. L’androcée est typiquement composé de 6 étamines (4 grandes, internes et 2 petites, externes) (12-13), exceptionnellement 4 ou 2, fixées sur le réceptacle comme les enveloppes florales

  7. Le pistil est constitué de deux carpelles entièrement soudés entre eux et donc on n’observera qu’un seul ovaire, un seul style et un seul stigmate (parfois légèrement bilobé) (14) ; l’ovaire est en position supère (15) et, à la coupe transversale, une « cloison » séparant deux loges est bien visible ; en fait, il s’agit d’une fausse-cloison (16) (qui a probablement pour origine une avancée interne des placentas sans déplacement des ovules) ; les ovules et donc futures graines sont implantés contre la paroi interne, à l’angle formé par celle-ci et par la fausse-cloison, la placentation est donc bien pariétale (n.b. : cette disposition des ovules permet donc d’éviter la confusion avec une véritable cloison (17) contre laquelle les ovules vont être fixés

  8. Le fruit est ici unique et ne se retrouve pas dans d’autres familles (ou alors il s’agira de « faux-frères ») : il s’agit d’une silique (19) (s’il est plus de 3 fois plus long que large) ou d’une silicule (s’il est moins de 3 fois plus long que large) ; ces fruits secs déhiscents à l’intérieur desquels se trouve la fausse-cloison longitudinale s’ouvrent à maturité, de bas en haut, en 2 valves qui s’enroulent parfois en spirale à maturité pour éjecter les graines ; la fausse-cloison, translucide, reste souvent fixée au pédicelle floral pendant plusieurs semaines après la chute des valves (caractère recherché par les amateurs de bouquets secs qui apprécient la beauté diaphane des silicules de monnaie du pape (Lunaria annua) (20-21)

La cardamine hérissée (Cardamine hirsuta) :

Petite espèce annuelle (25 cm de hauteur maximum) (22), cette cardamine des milieux fortement anthropisés ne supporte pas la concurrence, d’où son attrait pour les surfaces nues (parterres, cultures, jardinières et pots de fleurs extérieurs, talus rocailleux, ballasts de chemin de fer, digues, terrasses, friches, vieux murs, bords des chemins, joints entre les pavés…). Jamais ô grand jamais vous ne la trouverez en prairie ! Également qualifiée de nitrophile, elle serait en augmentation depuis les années 70 à cause des retombées grandissantes d’azote !

À observer de près les tiges, on a vite compris son nom d’espèce ! (23) Ses feuilles composées-imparipennées (nombre impair de folioles disposées à la manière des barbes d’une plume d’oiseau) sont disposées en rosette basilaire (3-11 folioles) et de manière alterne pour les feuilles caulinaires (5-11 folioles). À noter qu’une autre espèce de cardamine lui ressemble quant à la taille générale mais aussi quant à la couleur et à la taille des fleurs : la cardamine des bois (Cardamine flexuosa). Outre l’écologie différente (chemins forestiers frais et humides), le nombre de folioles est un peu supérieur : 7-13 folioles pour les feuilles basilaires et 11-15 pour les feuilles caulinaires.

La fleur, dont la corolle est constituée de 4 pétales blancs longs de 2-5 mm, possède pratiquement toujours 4 étamines (les deux courtes manquent), ce qui est donc une exception chez les Brassicacées ! Mais même dans les exceptions, on relève des exceptions… En effet, très occasionnellement, les 6 étamines peuvent être présentes (24), ce qui est le cas pour les individus de notre terrasse ! Les grains de pollen sont ± elliptiques, à surface réticulée (formant un réseau) à mailles perlées : 31-36×27-31 microns. (25-26)

À cette époque de l’année où le nettoyage des parterres et du potager est souvent bien nécessaire, il nous suffit d’effleurer les siliques à maturité pour que leurs deux valves s’enroulent brusquement, projetant, dans les yeux parfois, leurs petites graines telles de petites billes (ndlr : il vaut mieux porter des lunettes dans ce cas…). (27-28)

La cardamine des prés (Cardamine pratensis) :

Une de mes préférées ! La fête des mères y est pour quelque chose……

Espèce vivace, haute de 20 à 70 cm (29) et à très court rhizome (30), typique des prairies fraîches, lisières forestières, pied de haies et talus herbeux ombragés, elle se décline en Belgique en 3 sous-espèces dont 2 vivent plus spécialement dans les milieux marécageux, suintements et zones de sources. Dans notre jardin (au sol relativement profond et frais), elle est bien répandue dans la partie « sauvage ».

Si vous voulez pimenter vos salades sauvages, n’hésitez pas à y mettre quelques feuilles fraîches de cardamine des prés, goût de moutarde assuré !

Ses magnifiques pétales rose violacé, marqués de veines plus foncées, sont longs de >6 mm (6-17 mm). Comme certains individus ont cependant parfois des pétales très clairs et sachant que la cardamine des prés peut parfois vivre dans les mêmes milieux que la cardamine amère (Cardamine amara), il est utile de savoir les distinguer l’une de l’autre ! Outre l’hétérophyllie différente (beaucoup plus marquée chez la cardamine des prés) (3-4), la couleur des anthères est bien différente : jaune chez la cardamine des prés (31) et lilas violeté chez la cardamine amère. (32)

Les grains de pollen sont quasiment identiques à ceux de l’espèce précédente si ce n’est leur taille légèrement plus grande : 36-48×30-35 microns. (33-34)

Dans notre jardin, comme fréquemment ailleurs dans le pays, il arrive très souvent qu’un bouton floral, reste fermé et devienne démesurément gros. C’est là l’oeuvre de Dasineura cardaminis, petit diptère qui cause une galle ou cécidie (35-36) à ce niveau de la plante. Plusieurs larves s’y développent. Autre insecte grand amateur de cardamine des prés et nettement mieux connu des naturalistes : l’aurore (Anthocharis cardamines). Ce magnifique piéridé volète dans le jardin presque à chaque printemps, à notre plus grand bonheur… (37-39) Petite devinette concernant la photo 39, sur quelle espèce de cardamine l’aurore est-elle posée ? (réponse en bas de page)

Pour plus d’informations :

À bientôt pour une prochaine (re-)découverte…

Bernard

Réponse à la devinette (photo 39) : sur la cardamine amère à cause des anthères lilas violeté !