50 ans de la loi sur la conservation de la nature

Le 12 juillet 1973, la Belgique adoptait la loi sur la conservation de la nature, elle marquera une étape cruciale dans la reconnaissance et la prise de conscience collective quant à l’importance de préserver la biodiversité. À l’occasion de ce jubilé, il nous est offert de questionner et de repenser les dispositifs de conservation de la nature et ses méthodes de gestion.

L’objectif de ce nouveau (et premier en la matière) cadre législatif est d’assurer la protection des espèces végétales et animales indigènes à l’aide d’outils tels que la création de réserves naturelles et forestières intégrales (c.-à-d. où la nature s’exprime sans entraves) et soumises à une gestion. La loi entend aussi et surtout protéger la faune, la flore et leurs communautés par la mise en œuvre de mesures adaptées. C’est ainsi que certaines espèces animales et végé­tales se voient octroyer un statut de protection, qui s’accompagne d’une série de réglementa­tions et d’interdictions destinées à garantir leur sauvegarde.

Bilan et perspectives en Wallonie

Lors de la régionalisation du pays en 1980, la Région wallonne hérite des compétences liées à l’environnement et à la conservation de la nature. Ces dernières décennies, la Wallonie a engagé d’importants efforts pour mener à bien sa mission. À l’aube du 50e anniversaire de la loi sur la conservation de la nature, quel bilan peut-on tirer des efforts consentis ?

Mare forestière @S. Lezaca-Rojas

Récemment, la Wallonie s’est engagée à mener une politique plus ambitieuse en promettant une augmenta­tion conséquente de la superficie de son réseau d’aires strictement protégées : d’abord dans le cadre de l’accord de gouvernement avec l’ambi­tion (tenue) de créer au moins 1 000 hectares de nouvelles réserves par an, puis poussée par les objectifs de l’Union européenne, dans le cadre de son plan de relance, avec notamment la dé­signation de ses deux premiers parcs nationaux, fin 2022 (le Parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse et le Parc national de la Vallée de la Semois).

Malgré une progression des sur­faces protégées, à peine plus de 1% du terri­toire wallon bénéficiait en 2022 d’un statut de protection stricte… On reste donc bien loin des objectifs de la stratégie européenne en faveur de la biodiversité qui prévoit 10% d’aires stric­tement protégées à l’horizon 2030. La Wallonie a encore du chemin à faire… Des adaptations de la dite loi et de ses arrêtés d’application sont certainement néces­saires pour renforcer son efficacité.

Avec le projet "Aires protégées". Les Cercles des Naturalistes et 4 autres associations mettent tout en œuvre pour atteindre cet objectif, en créant un maximum d’aires protégées durant les années à venir et en assurant leurs restauration, leurs gestion à long terme et leurs valorisation. 

Le castor, véritable architecte des paysages, participe gratuitement au redéploiement des dynamiques naturelles des écosystèmes humides. @Forêt&Naturalité

La biodiversité toujours menacée en Wallonie

En dépit des efforts fournis par les autorités (réglementations, stratégies…) et les nombreux projets (projets LIFE, PWDR,…) menés par les acteurs de la conservation de la nature (admi­nistration et associations) pour enrayer l’ap­pauvrissement des espèces et des habitats sur le territoire, l’état de la biodiversité en Wallo­nie reste préoccupant.

Les aires protégées ne sont pas épargnées par ce déclin alarmant, elles ne constituent pas, en l’état du moins, un rempart suffisant face aux dérèglements du climat, à l’intensification des pratiques agricoles et syl­vicoles, à la pollution atmosphérique (dépôts azotés et soufrés, etc.) et autres pressions an­thropiques aux impacts dévastateurs. Pointons à cet égard la taille beaucoup trop restreinte de la plupart de ces aires protégées et le manque de connectivité entre elles, deux facteurs qui empêchent le maintien de populations viables dans des écosystèmes fonctionnels et diversi­fiés, leurs déplacements et le brassage géné­tique des populations.

Depuis plus de 10 ans, des projets européen sont consacrés à la restauration des landes, prairies et
forêts humides du massif de la Croix Scaille.
@S. Lezaca-Rojas

État des pelouses et landes

Dans la continuité d’un schéma bien ancré depuis une centaine d’années, les efforts de conservation de la nature sont majoritairement orientés vers le maintien de milieux d’origine anthropiques (landes, prairies de fauches, pe­louses calcicoles, etc.). La gestion de ces milieux tente de maintenir ou de reproduire les pra­tiques agropastorales qui les ont vu naître. Ces pratiques sont soutenues par des fonds d’ori­gine wallonne et européenne. Une proportion significative de ce type de milieux fait doréna­vant partie du réseau d’aires protégées, mais il reste encore quelques joyaux à sauver avant qu’ils ne se dégradent. Leur protection devrait être une priorité mais elle nécessite le volon­tarisme des autorités publiques et des fonds suffisants à disposition.

Enfin, même si on observe une amélioration pour certains habitats (certains habitats tourbeux ou les pelouses calcaires p. ex.), il faut bien admettre que la gestion active et coûteuse de ces milieux ne répond que partiellement aux objectifs de conservation. Les surfaces concer­nées restent bien souvent marginales et trop peu connectées entre elles, et malgré les ef­forts prodigués pour une gestion adaptée, trop souvent soumises à des interventions éloi­gnées de leurs origines : fauchage intégral et rapide, gyrobroyage, pâturage stationnaire…

Les landes sèches sont les vestiges des pratiques agropastorales du Néolithique. Le pâturage naturel offre une alternative à une gestion active et intrusive. @S. Lezaca-Rojas

État des forêts

Les écosystèmes forestiers, quant à eux, ont trop longtemps figuré parmi les grands oubliés de la protection de la biodiversité, relégués au second plan derrière l’urgence de protéger des milieux, issus d’un héritage patrimonial, rapi­dement menacés d’extinction. Et pendant ce temps, nombre de forêts naturelles ont conti­nué à subir les effets néfastes de l’intensifica­tion des pratiques sylvicoles. Bien que la loi sur la conservation de la nature prévoyait bien les réserves naturelles intégrales, bien peu ont en réalité été créées.

Au contraire, les forêts de grand intérêt biologique ont plus souvent fait l’objet d’une désignation comme “réserves fo­restières”, un statut permettant toujours des formes d’exploitation et la chasse, et qui dès lors bien souvent ne permet pas aux milieux forestiers de développer leur entier potentiel biologique. L’interventionnisme reste le maître-mot des pratiques actuelles de la conservation de la nature.

La présence de bois mort joue un rôle essentiel pour la résilience des écosystèmes forestiers. @S. Lezaca-Rojas

Repenser la gestion de la nature

La protec­tion de la biodiversité est une exigence morale, mais également une ressource pour nos sociétés en termes de résilience, grâce aux nombreux services écosystémiques qu’elle nous rend et sa contribution à l’amélioration de notre cadre et de notre qualité de vie. Une autre fonction des espaces protégés reste d’ailleurs de renforcer la qualité des paysages, à la fois bénéfique pour les riverains et les touristes ; une place pour des espaces non-gérés y est aujourd’hui nécessaire, et même souhaitée par le grand public.

La préservation des milieux anthropiques devrait certes pou­voir continuer à s’articuler toujours mieux au­tour d’une forme de valorisation économique (fauche, pâturages…) au travers de débouchés locaux et respectueux de l’environnement. Pour les espaces ouverts, le recours au pâturage « naturel » (c’est-à-dire libre et dans de vastes espaces, par des chevaux ou des bovidés) a fait ses preuves. S’il ne permet pas de maintenir les faciès de prairies de fauche, de landes, ou de pelouses calcicoles exactement tels que nous les connaissons actuellement, celui-ci favorise néanmoins l’expression optimale des espèces végétales et animales.

Comment faire évoluer les disciplines en matière de conservation de la nature ?

Au-delà de ces méthodes traditionnelles, d’autres options s’offrent au­jourd’hui à nous, promues par l’évolution des mentalités, des connaissances et des attentes sociétales, et déjà bien implantées dans les régions voisines. Elles consistent à s’appuyer davantage sur les processus naturels des éco­systèmes. Les forêts wallonnes, dont la protection est l’une des préoccupations majeures de notre société, sont les candidats parfaits pour de telles initiatives. Lorsqu’on les laisse évoluer librement, les forêts développent leur poten­tiel biologique et consolident leur résilience.

D’autres pratiques encore, comme le réensau­vagement des rivières (par la reméandration ou l’enlèvement d’obstacles), le rétablissement de conditions hydrologiques naturelles (bouchage de drains…), la protection ou l’aide au retour d’espèces fonctionnelles et architectes (grands mammifères herbivores ou carnivores entre autres) sont autant d’initiatives qui à moindre coût et sur le long terme contribuent au dé­veloppement optimal de la biodiversité et des services écosystémiques, tout en rendant une place plus grande à la nature et à sa spontanéi­té.

En renonçant à la gestion et au pilotage total de la biodiversité, c’est une nouvelle ère qui est donc prête à s’ouvrir pour la conservation de la nature, mais également pour un rapport moins dominateur et plus authentique de l’humain avec elle.

Cet article a été rédigé par Coline Drapier, Chargée de projets administratif et communication à Forêt&Naturalité. Il est extrait de notre magazine l’Érable (juillet 2023) publié tous les trimestres et envoyé à tous nos membres.