Exercice d’éthologie n°4

linotte mélodieuse

Michaël vous propose déjà son quatrième exercice d’éthologie. Rien de tel que l’apprentissage par l’observation !

par Michaël Leyman, écopédagogue au Centre Marie-Victorin (CNB)

Vous connaissez maintenant le principe : une vidéo suivie de dix questions basées sur l’observation, la déduction et un peu la connaissance du monde du vivant. Ces deux séquences ont été prises le 18 avril de cette année, en matinée et près de chez moi (sur la commune de Chimay). Elles concernent les mêmes individus, filmés avec 15 minutes d’écart. Contrairement à la semaine passée, un visionnage est suffisant avant de se lancer dans le questionnaire.

Observez bien cette vidéo !

Vous avez visionné la vidéo ? Place au quiz !

Conclusions

Pourquoi ai-je choisi cette vidéo ? Evidemment, il existe de multiples critères, tels que la présence d’une espèce commune et observable partout en Belgique, une séquence pas trop longue, une qualité d’image minimale, une vidéo si possible « de saison » et prise autour de chez moi, plusieurs acteurs et des comportements compréhensibles, etc. Mais ce qui m’a le plus décidé, c’est le fait qu’on y voit un oiseau, non pas en train de ramasser du matériel de construction, mais en train de le façonner. Cette différence semble anodine, mais elle marque un niveau d’intelligence (telle que l’être humain se la figure) très élevé. Chez l’homme aussi, la conquête spatiale a débuté par des brins ligneux façonnés. On est loin de la tête de linotte….

Et pourtant, cette idée d’étourderie persiste, même chez un éminent ornithologue tel que Paul Géroudet (1998), dont voici un extrait directement lié à notre vidéo :

Fidèlement escortée de son conjoint, la femelle déploie beaucoup de zèle à construire son nid, comme en témoignent ses voyages très apparents, matériel au bec. C’est alors que se justifie la réputation d’étourderie de la linotte. Dans son insouciance ingénue, plus d’une édifie son ouvrage dans une situation si exposée au regard que la destruction ou l’abandon est son destin habituel… Léger, mais solide et soigné, il se compose d’une armature externe de tiges sèches et de racines, d’aspect hérissé, mêlée de duvets végétaux, parfois de mousse; la texture de cette corbeille est de plus en plus serrée vers l’intérieur, puis une seconde couche lui succède, en matériaux plus fins: radicelles, brindilles et herbes sèches, flocons duveteux, etc. La garniture même est composée de duvets végétaux encore, de brins de laine ou de chanvre, de poils et de crins, ces derniers souvent en matelas dans le fond ; la présence de plumes est occasionnelle.

Et du côté des articles scientifiques ? J’ai trouvé une information pertinente provenant d’une étude réalisée au Danemark par Drachmann & al (2000). Ils ont constaté, après avoir observé durant 295 heures des couples de linottes, que durant au moins les 8 jours qui précèdent la ponte du premier œuf, ce qui comprend la construction du nid, le mâle passe plus de 95% de son temps à moins de 10 m de sa partenaire ! Le but étant de diminuer les risques de copulations extra-conjugales. Après la ponte du premier des plus ou moins 5 œufs, ce gardiennage (c’est le terme revendiqué) diminue très fortement (10-20%). Ces données confortent l’idée que le mâle qui chantait à proximité de « notre » femelle était bien son partenaire. Si cela n’avait été le cas, il se serait fait chassé très rapidement par le mâle légitime. Si vous prenez le temps d’observer, durant la bonne période, l’un des 25000 couples répartis partout en Wallonie et à Bruxelles, vous pourrez assez facilement observer ces comportements. D’autant plus que les linottes ne sont pas très farouches.

Ce gardiennage est très utile car les linottes nichent régulièrement en semi-colonie ; çàd que plusieurs nids sont disposés assez proches les uns des autres, sans pour autant qu’il y ait de défense de la colonie par les différents couples. Les tentations sont donc très grandes. Et les études génétiques montrent qu’elles se produisent de temps en temps. Monsieur n’est donc pas paranoïaque.

Une autre conséquence de ces semi-colonies est le fait que le territoire défendu par le couple est tout petit. Il se limite généralement au buisson, voire juste au nid. Il faut dire qu’ils peuvent être très proches. Pour la Belgique, Verheyen cite, comme maxima une quarantaine de nids sur un carré de 80 m de côté et 3 nids dans un même sureau. Sur le terrain, j’ai d’ailleurs pu observer 4-5 autres linottes à une vingtaine de mètres du couple et du buisson où le nid était en train d’être construit, sans qu’il y ait eu d’agressivité. Ce territoire est « complété » par une zone de 3-4 mètres autour de la femelle, quels que soient ses déplacements et ce, durant les quelques jours précédant la ponte.

Pour protéger ce territoire, le mâle va principalement utiliser le chant. Comme chez les autres oiseaux, il sert aussi à attirer une partenaire. De plus, il a une troisième fonction, qui est assez probable dans notre vidéo. Il sert à stimuler la femelle dans son ovulation et dans sa construction du nid. Si le mâle arrête de chanter, la femelle a tendance à arrêter la construction du nid et/ou produira moins d’œufs, voire changera de mâle.

Toutes ces informations me permettent de développer un aspect fondamental de l’éthologie : les quatre questions de Tinbergen. Pour chaque comportement observé, on peut se poser quatre questions. Dans notre cas (comportement de récolte de matériaux et construction d’un nid), leurs réponses (ici, approximatives) seraient :

  • Quels sont les causes organiques/proximales du comportement ? Les stimulations externes et l’état interne.

Les stimulations externes sont la présence du mâle et son chant, ainsi qu’un environnement propice à la construction du nid. Mais aussi la météo favorable et la durée des jours et des nuits. Tout cela conduit, en interne, à un changement hormonal important qui aboutit à l’augmentation de la taille des organes sexués et même à l’augmentation de certaines parties du cerveau (celles qui vont servir au comportement de nidification). Pour cela, il faut également que la femelle soit mature sexuellement et que son poids soit suffisant.

  • Quel(s) est(sont) l’(les)avantage(s) de ce comportement en termes d’adaptation, de survie et succès de reproduction ? Quel est sa(ses) fonction(s) ?

Ici, on comprend assez vite que construire un nid doit probablement augmenter les chances de survie pour les œufs/juvéniles (camouflage, isolation thermique, isolation contre le ruissellement de l’eau, évitement de chute, etc.). Sinon, pourquoi dépenser autant d’énergie ? Après, il faut encore prouver toutes ces hypothèses…

  • Comment le comportement apparaît-il chez un individu au cours de sa vie ? Quel est son ontogenèse ?

La question 10 répondait en partie à cette question (caractère plutôt inné). Mais, à nouveau, encore faut-il le prouver pour en être certain…

  • Quel est l’histoire évolutive du comportement ? Quel est sa phylogenèse ?

C’est probablement la question la plus compliquée. N’ayant pas de machine à remonter le temps, il est impossible de savoir exactement quand et comment un comportement aussi complexe que la fabrication d’un nid, a pu apparaître et se développer chez les ancêtres des linottes. Par contre, on peut comparer son comportement avec d’autres espèces plus ou moins proches et on peut voir ce que les traces fossiles peuvent éventuellement nous apporter.

Pour ce qui est des espèces proches, la récolte de matériaux pour la fabrication d’un nid est un comportement observable chez l’ensemble des passereaux. Il est donc très probable que le groupe ancestral à l’origine des passereaux actuels avait déjà ce comportement. C’est plus logique que le fait que toutes les espèces de passereaux aient acquis, chacune de leur côté, la capacité de récolter des matériaux et celle de les assembler dans un ordre défini afin de fabriquer un nid. C’est le principe du rasoir d’Ockham (on choisit l’hypothèse la plus simple, celle qui nécessite le moins de conditionnels).

Une étude (Nagy & al., 2019) a comparé les liens de parentés génétiques et les types de nids de 855 espèces d’oiseaux actuels (passereaux et non passereaux). Elle a montré qu’il était presque certain que leurs ancêtres, il y a 100 millions d’années, faisaient déjà des nids et assez probable qu’ils étaient mis dans un milieu semi-ouvert (pas dans une cavité, ni dans une zone ouverte) et au sol. La capacité de faire des nids dans les buissons/arbres serait, par contre, apparue plus tard (vers -60 millions d’années).

Pour ce qui est des traces fossiles, le problème vient du fait que les nids, constitués de matériaux périssables, ne se conservent presque jamais. Par contre, les œufs si. Une étude (Tanaka & al., 2015) s’est donc basée sur la porosité des œufs de 149 espèces d’archosaures actuels et disparus (clade regroupant les oiseaux, les crocodiliens et des groupes disparus, tels les dinosaures). En effet, les œufs à la coquille très poreuse correspondent à des espèces qui ne les couvent pas, mais qui les mettaient dans une cuvette et les recouvrent de terre et/ou de nombreux végétaux. C’est le cas de toutes les anciennes espèces de dinosaures pour lesquels on a retrouvé des œufs. Et c’est également le cas des crocodiliens actuels, ainsi que de très rares oiseaux (les mégapodes). Mais, il y a au moins ±160 millions d’années, certaines espèces de dinosaures ont commencé à faire des œufs à la coquille peu poreuse. Cela veut dire qu’elles avaient arrêté de les recouvrir et qu’elles les couvaient/protégeaient. Libérées de l’obligation de mettre les œufs au sol (pour les enterrer), elles ont pu fabriquer les premiers nids. Et cela, avant même l’apparition des premiers oiseaux. Certains des comportements de notre linotte remontent donc à la nuit des temps…

Quatre petites questions, mais souvent quatre grandes découvertes passionnantes…

Bonnes futures observations !

Bibliographie :

  • Drachmann J., Komdeur J. & Boomsma J.J. (2000). Mate guarding in the Linnet Carduelis cannabina. Bird Study, 47:238-241.
  • Géroudet P. & Cuisin M. 1998. Les passereaux d’Europe – Volume 2. Delachaux & Niestlé, 512 p.
  • Nagy J., Hauber M., Hartley I. & Mainwaring M. (2019). Correlated evolution of nest and egg characteristics in birds. Animal Behaviour, 158:211-225. (https://www.researchgate.net/publication/337195324_Correlated_evolution_of_nest_and_egg_characteristics_in_birds)
  • Tanaka K., Zelenitsky D., Therrien F. (2015). Eggshell porpsity provides insight on evolution of nesting in dinosaurs. PLoS ONE, 10(11) (https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0142829)
  • Verheyen R. (1957). Les passereaux de Belgique – Première partie. Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, Bruxelles, 339 p.
  • Walter H. & Avenas P. (2007). La mystérieuse histoire du nom des oiseaux, du minuscule roitelet à l’albatros géant. Robert Laffont, 376 p.